MONOGRAPHIES - CÔTES D'ARMOR
Le guide des baigneurs à Saint-Quay-Portrieux (Ernest LE NORDEZ)  Prix: 10.00 €
Le livre
Vers 1890, Ernest LE NORDEZ publia pour la première fois son « GUIDE DES BAIGNEURS A SAINT-QUAY-PORTRIEUX ». Son intention était d'offrir aux touristes comme lui, une sorte de mode d'emploi de la commune et de ses gens.

Ce document date donc un peu, tant par les sources qu'il utilise que par le contenu de son analyse ; il importe alors de lire ce livre avec le recul qu'il convient et une certaine prudence. Malgré le manque de recherche personnelle véritable, l'auteur nous laisse le témoignage d'une perception particulière de la station qu'il a choisie pour ses « bains de mer ». Au delà de l'évocation de l'histoire et de la géographie du lieu, cet ouvrage est une illustration du processus qui a favorisé la construction d'une certaine image de la BRETAGNE, en l'occurrence celle d'une «Bretagne à visiter ». On y relève les éléments qui ont forgé une représentation nouvelle de la BRETAGNE vers 1850-1860, date à laquelle les premiers chemins de fer ont atteint les grandes villes Bretonnes, déversant leur flots de touristes, et les valeurs et coutumes qui leurs étaient propres.

«Les chemins de fer ont favorisé l'élaboration des guides touristiques qui, dans un premier temps au moins, n 'étaient que des ouvrages de commandes, demandées à des fins publicitaires par les compagnies, à des érudits locaux» (1). Les touristes parisiens sont à moins de onze heures de SAINT-BRIEUC, la gare à seulement deux heures d'attelage; aussi ces baigneurs sont-ils les bienvenus dans cette localité où les ressources traditionnelles s'épuisent. Là pêche périclitant, la fréquentation des plages semble appelée à devenir une activité intéressante, voire rentable pour les Quinocéens. Il importe donc de séduire puis de choyer les nouveaux venus.

L'activité « hôtelière » de la Communauté de SAINT-QUAY est un bon exemple de cet opportunisme balnéaire. Les religieuses ont ainsi aménagé une partie de leur locaux de façon à y loger quelques familles chrétiennes ; celles-ci forment le tout premier groupe de baigneurs dans la station, et elles ont ainsi contribué à y établir une réputation de grande moralité. Ces hôtes ont l'habitude de fréquenter toujours la même grève où ils sont en majorité : « on y éprouve une sorte de recueillement, et l'on cherche en vain le bénitier que l'on pourrait s'étonner de ne pas voir à l'entrée».

Les touristes d'alors forment « un public aisé et hautain, issu de la bourgeoisie locale ou nationale, voyageant pour son plaisir et à la recherche d'un espace de loisir, dans une contrée pittoresque » (1). Ce public se fait une idée stéréotypée de la BRETAGNE, conçue comme « un ensemble d'images et d'itinéraires (longeant les côtes) ignorant pratiquement totalement le mode de vie des ruraux ». Fin XIXe - début XXe, la BRETAGNE est perçue comme étant dérisoire » (1). C'est d'ailleurs à cette époque qu'apparaît Bécassine, représentation peu flatteuse du Breton, et qu'on s'attendrait pour un peu à voir surgir dans ce guide.

L'ouvrage est d'autre part le reflet d'une pensée hygiéniste, écho d'une préoccupation contemporaine et essentiellement urbaine. A de nombreuses reprises, l'auteur souligne la nécessité « d'assainir et désinfecter» la localité II regrette qu'au bourg de SAINT-QUAY, « la plupart des puits ne donnent que de l'eau saumâtre » ; pire,« l'endroit le plus fréquenté par les étrangers, les latrines publiques, est un cloaque dont les effluves permanentes et nauséabondes, sont vraiment insupportables». Ernest LE NORDEZ explique cette catastrophe sanitaire par les coutumes primitives et routinières des autochtones : par exemple, il est difficile de trouver une bonne car « tout faire suppose une expérience et des aptitudes que nos bretonnes n'ont point l'intention de posséder. Force est donc de se contenter du peu qu 'elles savent ». Témoins aussi l'inexpérience des bouchers « qui ne savent pas dépecer et découper la viande » ; le peu de souci que les marchands ont de leurs intérêts, « ce qui rend les approvisionnements difficiles ». Du côté des paysans, « La majeure partie des travaux des champs est encore faite d'après les anciennes méthodes » ; les gens de la terre font preuve d'une « méfiance du progrès et d'une incurie consternante, se traduisant par une invincible routine.

Les seuls indigènes qui bénéficient de l'indulgence d'Ernest LE NORDEZ sont ceux qui sont en phase avec les besoins et les aspirations du touriste. Tout doit être fait pour replacer le baigneur dans une structure qui lui sera familière : il est nécessaire pour cela de comprendre les besoins de la nouvelle population, afin de lui proposer des prestations adaptées. Ce faisant, « les touristes se coupent de la BRETAGNE réelle, et prennent l'habitude d'en consommer des ersatz » (1), ignorant totalement le mode de vie des ruraux, les assimilant à des arriérés, des primitifs. L'autochtone est absent de l'univers du baigneur et peut même devenir indésirable s'il lui arrive de se manifester par son manque de bonnes manières : « les plages de SAINT-QUAY, dimanches et jours de fêtes, sont envahies par des troupes de l'intérieur; ce sont alors des baignades joyeuses, des cris, des rires», autant de gênes pour la quiétude bourgeoise.

Au travers de cette description pour le moins négative mais plutôt pittoresque de SAINT-QUAY et de sa population, l'auteur reste fidèle aux préoccupations idéologiques qui lui sont contemporaines. En se faisant critique, il avait l'ambition de servir et d'oeuvrer pour le bien de la commune, considérant qu'il était « nécessaire et urgent de remédier à bien des choses de nature à rebuter et à dégoûter les gens civilisés » qui venaient en vacances à SAINT-QUAY. Il croyait en une chance pour tous ceux qui sauraient saisir cette opportunité, l'arrivée des touristes pouvant signifier aussi l'avènement de la civilisation, du progrès, de la science, c'est-à-dire la victoire de l'esprit républicain.

Tenons donc cet ouvrage comme une étude de moeurs, un document à caractère historique et sociologique, en laissant de côté les vertus polémiques du texte d'Ernest LE NORDEZ ; l'esprit de ce travail date de près d'un siècle, contentons-nous de notre rôle d'observateur, profitons pleinement de ces descriptions savoureuses et laissons nous guider vers d'agréables promenades...

(1) Catherine BERTHO : « l'invention de la BRETAGNE - genèse sociale d'un stéréotype, in Actes de la recherche en sciences-sociales, n° 35, novembre 1981, pp 45-62.-

L'auteur
C'est à Montebourg que naît le 2 février 1839, Ernest-Léon-Bon LE NORDEZ, fils d'un tailleur d'habits de ce petit village du Cotentin, situé à quelques lieues de Valognes.

« La famille Le Mordez appartenait semble-t-il à cette couche populaire aussi éloignée de la vulgarité que de l'opulence, laborieuse et digne, où l'on avait le culte des valeurs domestiques... » (P. Le Berruyer). Il écrira plus tard : « Fils d'ouvriers mais élevé très bourgeoisement et instruit par des prêtres, il y avait chez moi un mélange d'instincts démocratiques et de sentiments conservateurs qui s'accommodait assez bien du Parti Orléaniste libéral. »

Entré chez les Capucins en 1857, il n'y fait qu'un bref séjour et débute une carrière de journaliste et de voyageur. Sous l'Empire il dirige les journaux d'opposition libérale : La Loire, L'Eure, L'Union de la Sarthe. Dès la fin de la guerre de 1870, il entreprend en Extrême-Orient, un voyage au cours duquel il publie des articles très documentés sur la situation coloniale, maritime et commerciale de notre pays. Dès son retour, nommé membre de la Société de Géographie, il donne de nombreuses conférences et collabore à des journaux spécialisés sur la question coloniale. Il entre alors à la rédaction du Moniteur.

En 1881, sous le pseudonyme d'E. Sincère, il signe dans le Figaro, une série d'articles dont deux firent grand bruit : « le Prince Napoléon» et «la politique à Chantilly».

S'étant carrément rallié à la République, il prend la direction du « Patriote des Côtes-du-Nord » en novembre 1883 jusqu'en juin 1885; il prend alors en main les destinées de «l'Avenir de la Vienne». Dans ces deux départements, il aura laissé une réputation d'écrivain indépendant, de polémiste redoutable, d'orateur entraînant; il reconnaît pourtant en 1887 : «la passion d'avoir raison est en moi de naissance et de race, et cette passion là, je le confesse, m'a fait faire dans la vie bien des sottises ».

Durant sa période d'activités dans les Côtes-du-Nord, c'est à Saint-Quay qu'il aime à se reposer; c'est même de là qu'il diffuse un certain nombre de ses ouvrages.

Il décède en 1904 dans sa propriété de Saint-Antoine dans la banlieue de Marseille. Son frère cadet Albert, fut évêque de Dijon : il s'illustra lors d'une affaire qui fut à l'origine de la rupture diplomatique entre la troisième république et le Saint-Siège en juillet 1905


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